Dans la course ultime à « l’appropriation des clients », Alibaba a probablement remporté la bataille, voire la guerre, de la logistique face à son rival Tencent.
La première manche entre ces deux mastodontes avait pour enjeu la génération et l’accroissement de leur trafic en ligne. Résultat, avec 1 milliard d’utilisateurs pour WeChat et 25 milliards de dollars d’articles vendus en 24 heures lors du dernier « double onze » (le 11 novembre 2017) sur Tmall, les deux concurrents ont incontestablement réussi cette première joute. Match nul, dirons-nous.
La deuxième manche consistait à consolider leur empreinte hors ligne. Du côté d’Alibaba : Participation ou prise de contrôle totale de Suning, Hema, Intime, Sun Art (RTMart et Auchan China)… Du côté de Tencent : Participation dans des magasins physiques Yonghui, Carrefour, JD, coopération étroite autour des paiements avec Walmart… Ceci laisse penser qu’Alibaba a, pour l’instant, un léger avantage.
Comme si contrôler l’intégralité de la chaîne de valeur et se partager le marché n’était pas suffisant, les deux groupes ouvrent maintenant un nouveau front… Ils veulent s’approprier le client.
Leur dernière bataille s’est déplacée sur le plan logistique. Mais pas la logistique que les détaillants hors ligne (entre les fournisseurs et les boutiques hors ligne) connaissent. Nous parlons ici de la logistique visible entre les boutiques hors ligne et l’utilisateur final/le client.
Jusqu’à la semaine dernière, Alibaba, grâce à sa participation dans Cainiao, profitait déjà de leurs milliers de livreurs… Mais bon, c’était la semaine dernière…
Une livraison dans plus de 300 villes chinoises
Désormais, avec l’achat récent du reste de la participation d’ele.me, Alibaba a, du jour au lendemain, renforcé sa main-d’œuvre de plusieurs milliers d’employés… revalorisant par la même occasion la plate-forme de livraison de repas à 9,5 milliards de dollars… La plate-forme affirme livrer, dans plus de 300 villes chinoises, à ses 50 millions de clients (dont 95 % passent commande depuis leur mobile) des repas provenant de plus de 300 000 restaurants.
Il est évident qu’Alibaba n’a rien fait d’autre qu’acheter du « délai de commercialisation » afin de distancer son rival. Alibaba n’a pas voulu réinventer la roue ni franchir toutes les étapes d’une nouvelle courbe d’apprentissage… Le temps, c’est de l’argent, et la taille est tout ce qui compte.
Dans le camp adverse, avant d’oublier de le mentionner et avant qu’ils ne procèdent à leur prochain achat, Tencent dispose d’une participation importante dans Meituan-Dianping, une entreprise de services de livraison qui gère des centaines de milliers de repas chaque jour.
Ces deux titans possèdent déjà une quantité impressionnante de données sur leurs utilisateurs (par le biais des réseaux sociaux, des jeux, mais surtout grâce à leurs achats en ligne et hors ligne). Tous deux souhaitent s’approprier la relation avec les consommateurs à toute heure du jour et de la nuit.
Des consommateurs contraints de faire un choix ?
De la même façon que les commerces physiques en Chine ont commencé à choisir leur champion (Walmart pour Tencent, Auchan pour Alipay, probablement Carrefour pour Tencent…), nous, les consommateurs ordinaires, pourrions nous retrouver contraints de faire un choix entre l’une des deux enseignes. En effet, les deux groupes pourraient très bien ne plus accepter nos comportements versatiles, le fait d’utiliser l’un ou l’autre en fonction de notre propre intérêt. La fidélité a un prix.
Par Stéphane Joly, Executive Vice-president, Altavia Asia